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Conférence Monsieur François Valérian : Réguler la Finance au XXIème Siècle

Jeudi, 29 novembre, 2018 - 18:00

François Valérian est un ancien banquier d'affaires et associé du cabinet Accenture. Il est désormais professeur associé de finance au CNAM et responsable de l'enseignement de Finance, Régulation et Supervision à l'école des Mines de Paris. Il enseigne aussi à Sciences Po Paris (cours de Finance, Regulation and Supervision). Il est rédacteur en chef des Annales des Mines et membre du conseil général de l'économie. Il a publié plusieurs ouvrages dont "Crise dans la gouvernance. Ethique des affaires et recherche du profit" (2011).

Il est venu nous parler de la régulation de la finance au XXIème siècle. Vous trouverez unne synthèse de son exposé ci après.

Réguler la finance au XXIe siècle.

La finance, objet global à évolution rapide, est difficile à réguler. Elle s’est toujours adaptée à son objet, la maîtrise de l’avenir, dont on se protège ou sur lequel on parie, et en s’adaptant toujours aux nouvelles formes de l’avenir elle a toujours changé de forme. Tôt en même temps elle traverse les frontières, - argent des ordres croisés, prêts florentins au roi d’Angleterre au début de la guerre de cent ans ou, plus proche de nous, le premier réseau bancaire moderne que forment les frères Rothschild entre Londres, Paris, Francfort et Naples au début du XIXe siècle.

Or depuis la fin du XIXe siècle et l’organisation de marchés boursiers au grand nombre d’intervenants, marqués par des phénomènes de foule, la finance s’emballe régulièrement dans des bulles spéculatives suivies de ventes paniques, et la crise qui s’ensuit atteint alors l’économie dont la finance forme le système sanguin. Il en résulte la nécessité pour le monde politique fractionné de réguler la finance globale.

La crise de 2008, la plus importante depuis celle de 1929, a été largement causée par des dérives des institutions financières. Des prêts hypothécaires commercialisés de manière agressive à des taux d’intérêt assez élevés auprès d’emprunteurs modestes ont été regroupés dans des véhicules de titrisation dont les obligations, partagées en plusieurs catégories, étaient ensuite placées sur les marchés obligataires mondiaux. La catégorie la plus sûre de ces obligations n’était atteinte dans son rendement que si un grand nombre de défauts étaient constatés sur les prêts, chose jugée très improbable au vu de l’évolution passée du marché immobilier, ce qui valait une notation « triple A » à ces obligations. Certaines institutions financières sont allées jusqu’à créer des véhicules de titrisation synthétiques, reproduisant la performance de titrisations réelles, et à parier sur le défaut des obligations qu’ils vendaient à leurs clients. Quand le marché immobilier est entré en crise, tous ces schémas se sont effondrés, produisant des pertes de plusieurs dizaines de milliards sur le bilan de chacune des principales banques exposées.

De nombreux débats de régulation ont eu lieu dans les mois et les années qui ont suivi la crise de 2008. Il en est résulté des régulations nationales et supranationales. Certains chantiers sont cependant encore ouverts ou n’ont pas vraiment été entrepris.

Les transactions sur produits dérivés sont désormais un peu moins risquées dans la mesure où elles s’opèrent pour la plupart sur des marchés organisés avec une structure de compensation. Les banques font face à aux exigences en fonds propres de Bâle 3, plus importantes que celles de Bâle 2. Cette augmentation des fonds propres est importante car la tentation des banquiers peu prudents est d’aller vers le plus fort levier de dette et de dépôts pour accroître la rentabilité des fonds propres, oubliant que plus les fonds propres sont faibles, plus le risque est élevé. Une surcharge particulière en capital est imposée à la trentaine de banques jugées systémiques par le Financial Stability Board, qui travaille sous la supervision du G20, cela afin de répondre à la préoccupation d’aléa moral qui s’était exprimée après la crise sous le slogan « end too big to fail », par lequel on entendait mettre fin au chantage latent exercée par des banques dont l’importance obligeait à les secourir avec de l’argent public en cas de problème.

Les sanctions à l’encontre du système bancaire se sont aussi beaucoup accrues en fréquence et en gravité, largement à l’initiative des juges américains s’appuyant sur des lois américaines à effet transnational. Enfin, une campagne intergouvernementale contre les paradis fiscaux a été entreprise sous l’égide du G20, aboutissant par les effets conjugués de la loi américaine et des campagnes de société civile à un accord international sur l’échange automatique d’informations fiscales entre les autorités des principaux pays.
Il faut enfin mentionner la supervision unique par la Banque Centrale Européenne des deux-cents plus grandes banques de la zone Euro, disposition symétrique du pacte budgétaire européen dans la réponse européenne à la crise des obligations souveraines de 2010-2012.

La régulation financière actuelle pose cependant le problème de sa compatibilité avec une croissance économique forte. Les investissements en entreprises sous forme de dette ou de fonds propres, les prêts aux particuliers, sont désormais plus pénalisants en fonds propres pour les banques, et les compagnies d’assurances sont davantage incitées à investir dans des obligations souveraines grecques ou italiennes que dans des actions d’entreprises, même très bien portantes.

Il reste par ailleurs des zones de risque sans doute insuffisamment couvertes par la régulation, ou par la prévention interne aux entreprises. Les affaires récentes concernant Danske ou Goldman Sachs illustrent les défaillances des systèmes de contrôle, en dépit de tout le travail de conformité exigé par le régulateur. Le retour à une titrisation importante de prêts risqués est aussi préoccupant.  Le système de rémunération des agences de notation, payées depuis les années 1970 par les émetteurs qu’elles notent, n’a pas été réformé en dépit du biais évident qu’il engendre. La comptabilité IFRS en valeur de marché accroît les emballements boursiers, dans l’euphorie comme dans la panique, au travers notamment des bilans bancaires.

Enfin, il convient de toujours garder en tête le risque posé par la dette publique considérable de plusieurs grands pays, dont la France, car cette dette accroît le risque d’une crise obligataire et ôte aux Etats la marge de manœuvre nécessaire pour faire face à une crise du type de celle de 2008. Faire reculer la dette publique, et sans doute aussi la dette privée, et encore mieux contrôler la prise de risque dans les institutions financières, voilà sans doute ce qui peut réduire les risques financiers auxquels notre économie sera exposée dans les années à venir.
 
François VALERIAN